Une exécution capitale sous la Terreur révolutionnaire, par Pierre-Antoine Demachy (Musée Carnavalet/Wikipedia).
Le métier d’imprimeur peut présenter de sérieux risques. Aux périodes sombres de l’histoire, sous la censure, au fil des troubles et des guerres, certains imprimeurs ont payé de leur liberté, voire de leur vie, l’audace d’avoir tiré sur leurs presses des feuilles au contenu interdit.
Depuis que l’imprimerie existe, elle a été surveillée, censurée, voire interdite par des pouvoirs qui se méfiaient d’elle. Quand elle apparaît, au milieu du XVe siècle, l’imprimerie typographique lance une véritable révolution des idées : jusqu’alors, le partage des opinions ou la diffusion des concepts passaient par la parole ou par le manuscrit, ce qui limitait considérablement leur portée. Tout à coup, grâce aux caractères mobiles, il devient possible de reproduire rapidement un écrit à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’exemplaires, et de le distribuer à qui bon vous semble. Voilà qui élargit le débat !
Au XVe siècle, toutefois, il n’est pas encore question de liberté d’expression, ni même de liberté de conscience. La vérité qui s’impose est celle du pouvoir, politique ou religieux, qui ne tolère guère la contradiction.
De la censure à la guillotine
C’est ainsi qu’avec l’imprimerie apparaît la censure. Au XVIe siècle, le métier d’imprimeur (qui se confond encore avec celui d’éditeur) est soumis à un contrôle de plus en plus strict. Pour avoir le privilège d’imprimer, il faut posséder des lettres patentes, c’est-à-dire un brevet délivré par l’autorité, et prêter serment. En outre, chaque ouvrage doit être soumis à l’autorisation préalable des autorités civiles et ecclésiastiques, et il doit porter le nom et l’adresse de son imprimeur. Gare aux contrevenants : les sanctions vont de la forte amende jusqu’à la peine de mort !

Il faut dire aussi que la période troublée : nous sommes en pleine querelle religieuse entre catholiques et protestants ; querelle qui va dégénérer en désordres et en guerres, un peu partout en Europe. Dans ce conflit, l’imprimé est une arme ; produire un pamphlet ou un placard peut coûter très cher.
Ainsi en France, lors de « l’affaire des placards », quand des affiches anticatholiques sont apposées sur les murs de Paris et d’autres villes, dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534 – on en trouvera même une sur la porte de la chambre du roi François Ier ! Le crime sera puni de six exécutions, dont celle de l’imprimeur Antoine Augereau. Chez nous, le grand Christophe Plantin lui-même sera inquiété pour avoir permis l’impression d’une brochure calviniste, en 1562 : ses biens seront saisis et vendus, mais il parviendra à revenir en grâce.

Selon les lieux et les époques, la censure s’appliquera avec plus ou moins de rigueur, mais elle persistera tout au long de l’Ancien Régime. Il faudra attendre la Révolution française et la Déclaration des droits de l’homme, en 1789, pour que soit affirmée, pour la première fois, la liberté de partager des idées et des opinions. Une liberté de courte durée, toutefois : dès 1792, la répression s’abat sur les écrits « contre-révolutionnaires » et sur ceux qui les impriment. Pendant la Terreur, plusieurs imprimeurs passent sous la guillotine, dont Froullé, Levigneur, Girouard, Momoro … D’autres sont jetés en prison.
Le « Faux Soir », un acte de résistance
La liberté de la presse finit par gagner du terrain, au fil du XIXe siècle, dans les pays qui se réclament de la démocratie – la Belgique, à cet égard, adopte dès son indépendance des dispositions particulièrement libérales. Ailleurs, sous les régimes autoritaires, elle sera toujours l’une des premières cibles de l’oppression. Il en ira de même en temps de guerre …
Sous l’occupation, l’imprimé devient un instrument de la résistance : les organisations secrètes mettent sur pied de véritables ateliers clandestins pour tirer des affiches, des tracts, des brochures et même des journaux. À leurs risques et périls, des imprimeurs leur prêtent main-forte.

L’un des cas les plus célèbres en Belgique est celui du « Faux Soir », lors de la Seconde Guerre mondiale. Le journal « Le Soir » est alors aux mains d’une équipe de collaborateurs, sous le contrôle de l’occupant – on l’appelle le « Soir volé ». Au sein du Front de l’Indépendance, un groupe de résistants décide, avec une folle témérité, de remplacer ce « Soir volé » par un « Faux Soir », rempli d’articles parodiques moquant ouvertement les nazis. 50.000 exemplaires sont tirés sur les rotatives de l’imprimeur Ferdinand Wellens, dont 5.000 distribués le 9 novembre 1943 dans les principaux kiosques de Bruxelles, avant la livraison du « Soir volé ». Le reste du tirage est destiné à la vente clandestine.
L’imitation est parfaite : certains lecteurs achètent le « Faux Soir » sans même s’en rendre compte. Le canular fait beaucoup rire en Belgique et obtient même un retentissement international, suscitant des articles dans la presse de Londres et inspirant une opération similaire à Lyon. L’occupant, lui, rit beaucoup moins. Il recherche activement les coupables. Pour se protéger, les conjurés ont pris grand soin de rogner les dentelures, en bords de feuille, qui permettraient d’identifier la presse, comme des empreintes digitales. Hélas, un exemplaire non découpé tombe entre les mains de la Gestapo. Une quinzaine de personnes sont arrêtées et emprisonnées, dont l’imprimeur Ferdinand Wellens, qui mourra en déportation.
Une plaque, sur la façade du 35 rue de Ruysbroeck, où se trouvait son imprimerie, rappelle cette action de résistance.